l’usine à gaz de Vaugirard, constituait la première tentative de sortie. En fait, il ne put avoir lieu en raison de la mauvaise qualité de l’enveloppe et les lettres durent être rapportées rue Jean-Jacques Rousseau, au siège de l’administration des Postes.
Le lendemain, 21 septembre, à quatre heures de l’après-midi, dans la cour de l’usine à gaz de Vaugirard, les sacs de courrier sont apportés comme convenu afin de prendre place dans la nacelle de l’Union. Les lettres ont été rédigées sur du papier pelure et pliées en quatre pour éviter l’emploi d’enveloppes. Ces consignes ont été interprétées dans l’opinion publique comme révélatrices d’un lancement imminent. En outre, la presse s’en est emparée et a suscité un vif espoir dans la population. Mais le ballon, qui devrait déjà être gonflé, gît sur le sol inerte. Wilfrid de Fonvielle examine l’Union et déclare que ce n’est rien d’autre “qu’une loque bonne à mettre aux chiffons”, il apostrophe Mangin, lui reproche son irresponsabilité et prend les assistants à témoin de l’état pitoyable de l’appareil, bien que reconnaissant que celui-ci est de fabrication récente et qu’il a peu servi. Compte tenu de l’enjeu, les hauts responsables des Postes insistent pour tenter le remplissage, mais constatent rapidement l’inanité de ces efforts. Wilfrid de Fonvielle aura le mot de la fin en déclarant que c’est “un tonneau des Danaïdes à l’usage des filles de l’air”.
Ainsi les deux premières tentatives de lancement de ballons libres pour le transport de courrier par la voie des airs durant le siège de Paris (Le “National” le 20 septembre 1870 et “l’Union” le 21) eurent lieu dans le voisinage de l’usine à gaz de Vaugirard. Par malchance, ces deux essais se traduisirent par un échec. Les deux ballons appartiennent à l’administration des Postes mais, conservés dans des conditions médiocres, ils se révèlèrent défectueux et les ascensions durent être reportées.
N.B. : Certains auteurs placent la tentative de lancement de l’Union à l’usine à gaz de La Villette. Comme il s’agit d’un échec, on peut leur accorder le bénéfice du doute.
Par la suite, après trois lancements réussis (Le Neptune, de la place St-Pierre ; le Citta di Firenze, du Bd d’Italie ; les Etats-Unis, ballon double, de l’usine à gaz de la Villette), il faut attendre le 30 septembre pour un nouvel essai à l’usine à gaz de Vaugirard. Cette fois, c’est le Céleste qui est choisi. A l’aube de ce jour, le canon tonne depuis quatre heures du matin et il y a des blessés. La veille, un certain Béhet, administrateur des Postes, a exprimé le désir de tenter un nouveau départ. Gaston Tissandier, qui assiste W. de Fonvielle, examine alors l’enveloppe du Céleste et constate qu’elle présente des défauts majeurs : étoffe fragile et gelée par le froid, enduit desséché et cassant, nombreux trous et accrocs, etc. On convoque de toute urgence une couturière pour procéder au ravaudage et chacun s’efforce de boucher les trous et de renforcer l’étanchéité des coutures avec des bandelettes collées, dont le propre frère de Gaston Tissandier, Albert qui est un architecte en renom, venu prêter main forte. Les amis de l’aéronaute lui déconseillent formellement de prendre l’air et d’attendre un ballon en réel état de marche.
Voici ce qu’écrit Gaston Tissandier lui-même : “Près de la soupape, j’aperçois des trous où l’on passerait le petit doigt. Ils sont entourés de toute une constellation de piqûres. Ce n’est plus un ballon, c’est une écumoire !... Je ne suis que médiocrement rassuré. Je vais partir seul dans ce méchant ballon, usé par l’âge et le service.”
Néanmoins, lorsque vers 9 heures le ballon est enfin gonflé, tous les officiels se rassemblent. Il y a les responsables de la Poste, Béhet et Chassinat, qui accompagnent les trois sacs de courrier pesant 80 kg, le colonel Usquin de la Commission pour l’emploi des Aérostats, le ministre des Finances Eugène Picard qui remet à Gaston Tissandier un paquet de documents officiels en vue de les porter à Tours, à la délégation gouvernementale y séjournant, avec des directives très précises, en particulier de les avaler ou de les brûler s’il venait à être capturé.
Tandis que l’on fixe la nacelle, Louis Van Roosebeck, vice-président de la société colombophile “L’Espérance”, apporte trois pigeons voyageurs dans une cage et fait ses ultimes recommandations rapportées par G. Tissandier lui-même : désignant un pigeon à tête brune “celui-ci est un vieux malin que je ne donnerais pas pour 500 francs. Il a déjà fait de grands voyages. Vous le porterez à Tours. Ayez soin de lui. Prenez garde qu’il ne se fatigue lors du voyage en chemin de fer.”
Au moment où l’aéronaute s’installe dans la nacelle, le canon gronde avec une extrême violence et cela ajoute encore à l’anxiété des assistants. Enfin le départ : lâchez tout ! Lentement, le “Céleste” s’élève dans le ciel et, à 9 h 50, atteint 1000 m d’altitude au dessus de l’île de Billancourt. Laissons encore Gaston Tissandier exprimer ses sentiments : “Ce ne sont plus les environs de Paris riants et animés, ce n’est plus la Seine dont les bateaux sillonnent l’onde, où les canotiers agitent leurs avirons. C’est un désert triste, dénudé, horrible. Pas un habitant sur les routes, pas une voiture, pas un convoi de chemin de fer. Tous les ponts détruits offrent l’aspect de ruines abandonnées ... On se croirait aux abords d’une ville antique détruite par le temps.”
Puis le ballon survole Saint Cloud et la chaleur de la matinée améliore l’efficacité de l’ascension par la dilatation du gaz, malgré les fuites résiduelles. A Versailles, le Céleste atteint 1600 m d’altitude. Le pilote aperçoit au moyen d’une longue vue des “lilliputiens”, selon ses propres termes, qui ne sont autres que des soldats ennemis. “Je vois sortir de Trianon des officiers qui me fixent avec des lorgnettes. Ils me regardent longtemps. Un certain mouvement se produit de toutes parts. Des Prussiens se chauffent le ventre sur cette pelouse que foulait aux pieds Louis XIV.” Puis il se souvient tout à coup qu’il dispose de dix mille proclamations rédigées en allemand. “J’en empoigne une centaine que je lance par dessus bord. Je les vois voltiger dans l’air en revenant lentement à terre. J’en jette à plusieurs reprises un millier environ, gardant le reste de ma provision pour les autres Prussiens que je pourrais rencontrer sur ma route.” La proclamation, rédigée par Louis Blanc, explique aux Allemands que la France n’a plus ni empereur, ni roi, et que le bon sens leur conseille de nous imiter pour éviter ainsi de nous tuer comme des bêtes sauvages. De sages paroles, mais qui ne produiront aucun effet, hélas ! Un peu plus loin, dans la clairière au milieu d’un petit bois, des tentes d’où sortent brusquement quelques soldats qui ouvrent un feu nourri. Tandis que des balles sifflent à ses oreilles, pour toute réponse, G. Tissandier leur envoie en pluie le reste de ses proclamations.
En fin de matinée, l’aéronef est au dessus de la forêt de Houdan et se rapproche rapidement du sol. Malgré des lâchers de lest répétés, la descente s’accentue. L’appareil atteint 500 m d’altitude, lorsque, à la lisière de la forêt, un peloton de uhlans le découvre subitement. Stupéfaits, ils n’ont aucune réaction et laissent le ballon reprendre de l’altitude sous l’effet conjugué du lancement des derniers sacs de sable et d’une forte brise qui s’est levée. Un peu plus loin, le ballon rase à nouveau la terre. L’aéronaute aperçoit “des spectateurs, cette fois des paysans français, en sabots et en blouse, qui lèvent les bras vers moi. On dirait qu’il m’appellent à eux. Mais je suis encore bien près des Prussiens. Je préfère prolonger mon voyage le plus longtemps possible.” Il envoie quelques exemplaire d’un journal de Paris, le Gaulois, que son directeur lui a fait parvenir au moment du départ et voit les paysans courir pour ramasser ces journaux qui s’éparpillent. Soudain, une petite ville apparaît dans le lointain, dominée par une grande tour carrée blanche, c’est Dreux. Tissandier fait descendre le ballon et, lorsqu’il est à portée de voix, interroge les habitants : “Y a-t-il des Prussiens par ici ?” La réponse est : “Non, vous pouvez atterrir.” Il envoie alors le guiderope pour freiner le mouvement, mais un fort coup de vent projette l’aérostat sur une butte où il ricoche.
Association Aesops Hebergement Web de la publication durable avec le soutien de giverny france