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Hommage à Suzanne Crepin

Suzanne et Madeleine : les inséparables

 

On ne peut évoquer la vie de Suzanne Crepin sans parler du lien si fort qui la lie à sa sœur aînée Madeleine, appelée Again par tous mais « Petite chérie » par Suzanne. A peine deux ans d'écart et une complicité sans faille qui durera tout au long de leurs vies.

Suzanne ressemblait à son père avec ses longs cheveux noirs, ses yeux sombres et ses gestes vifs ; on la surnommait "la gitane".

Assez mince, elle avait le regard un peu triste et profond.

Très affectueuse avec ses parents, elle s'entendait merveilleusement avec la blonde Madeleine, notre grand-mère et arrière grand-mère. Toute sa vie, Madeleine a soutenu, encouragé et mis en avant sa jeune sœur qui était plutôt réservée.

 

Le lien passionné qui les lie est tissé par des différences de caractères essentielles et un respect total et sans concessions de ceux-là. Madeleine est droite, raisonnable et douce tandis que Suzanne est indomptable, révoltée, autoritaire. Madeleine serait l’ange, Suzanne le démon, Madeleine la sagesse, Suzanne la déraison, Madeleine la tempérance, Suzanne la liberté ; à elles deux, elles ne font qu’une. Leur vie durant, jamais l’une ou l’autre ne déjugera l’autre, bien au contraire ; Madeleine n’aura de cesse d’admirer et de soutenir sa sœur qui lui paraît aller au bout de ses choix les plus intimes, Suzanne soutiendra Madeleine sans faiblir dans son rôle de femme mariée et de mère de famille alors qu’elle-même dira comme Chateaubriand «  Je ne connais pas d’autres malheurs après celui d’être né que de donner la vie ».

La vie qui aurait dû assouplir ce lien si fort n’y fera rien, chaque lettre échangée dit à l’une combien il est dur de vivre le quotidien sans l’autre, qu’il est difficile d’admirer un paysage sans que l’autre puisse l’admirer aussi, quel regret l’on a de ne pas partager telle joie ou telle souffrance côte-à-côte…


Elles tenaient toutes deux des dons artistiques très prononcés de leur père Auguste et passaient beaucoup de leur temps à dessiner des fleurs, des animaux familiers. Plus tard, elles choisiront des modèles animaliers au Jardin des Plantes à Paris.

A l'occasion des vacances, les deux sœurs furent charmées par la Bretagne, par la simplicité et le naturel des petites Bretonnes aux coiffes blanches et aux collerettes plissées relevées.

A partir de 1902 ou 1903, Madeleine et sa cadette, aussi originales et indépendantes l'une que l'autre – (elles osaient sortir seules dans Paris sans Amanda leur femme de chambre) - se concertèrent pour obtenir de leur mère l'autorisation de voyager ensemble en Europe. Madeleine avait appris l'Allemand et Suzanne le comprenait. Elles partirent donc une année en Allemagne puis une autre en Autriche et par la suite en Hollande et en Italie, descendant dans des couvents ou des pensions de famille convenables qu'on leur avait indiqué.

Mais, les voyages des deux sœurs s'arrêtent en 1908 ; Madeleine âgée de 29 ans épouse Pierre Boursy, un jeune rédacteur au Ministère des Finances dont la famille était amie des Crepin. Le couple s'installe à Paris, 9, rue Louis David dans le quartier de Passy et bientôt naît une petite fille : Véronique, appelée par tous Aïk.


En 1910, on offre à Pierre Boursy un poste de Capitaine-Payeur aux Armées au Maroc. Il est probable que Pierre, peu enclin à quitter la France se soit vu fort encouragé à accepter suite aux pressions de sa femme et de sa belle-sœur Suzanne, toutes deux peu conventionnelles et éprises d'aventure. Lorsque le jeune ménage arrive à Casablanca en 1910, Suzanne les accompagne !

Elle sera d'ailleurs d'un grand secours à sa sœur lors de la naissance de sa seconde fille Lislotte - notre "Mutti"- en décembre 1910.

Une troisième petite fille, Michèle surnommée Kinza nait en 1912.


Ces jeunes nièces adorent cette tante si souvent présente auprès de leur mère et qui lui apportait le réconfort de son calme et de son dévouement en tout temps et particulièrement durant les traversées que Madeleine fit avec ses enfants en 1914, 1916 et 1918.

Ne craignant jamais d'affronter les traversées en paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique ou de la compagnie Paquet malgré les fréquents torpillages des sous-marins allemands, Suzanne n'aura dès lors de cesse que de faire des aller-retour entre la France où est restée sa mère et une tante très âgée et le Maroc où se trouve sa sœur bien-aimée.

Avec Jean-Claude né en 1915 et Alain en 1917, une paire de garçons s'ajoute au trio des filles.

Suzanne donc, aux heures où elle ne dessine pas, s’emploie à coudre, en étoffe de laine, des demi-burnous rouges pour ses maintenant nombreux neveux et nièces. Cette tribu originale suscite la curiosité partout où elle va.

A partir de 1920 et jusqu'en 1939, Suzanne passe à peu près régulièrement quelques mois en France à Paris, Viroflay et Concarneau et quelques mois au Maroc (Meknès, Rabat et Fez).

Puis survient la guerre de 1939, Suzanne rejoint sa mère à Viroflay et elles partent se réfugier près de Marseille, à Cassis. L'extrême pénurie de leur existence altère la santé de Marguerite Crepin au point qu'elle devient complètement aveugle.

Après la mort de sa mère en 1945, Suzanne s'installe presque définitivement au Maroc près de sa sœur.


Encouragée sans relâche par cette dernière elle travaille beaucoup ses dessins et réalise de grands panneaux décoratifs à l’œuf, tableaux qui expriment à merveille la plénitude de son talent.

Elle est encouragée aussi par Madeleine à un tout autre art : celui de l'architecture. Plusieurs maisons du Maroc - notamment à Meknès - ont été construites selon ses plans.

En 1950, les deux sœurs achètent un bel appartement à La Napoule (dans un château érigé un siècle plus tôt par des Anglais) pour en faire un lieu de villégiature familial.

C'est là, aux côtés de Suzon, que meure la chère « Petite chérie » le 18 juin 1956. Le chagrin de Suzon est extrême :

Mardi 19 juin " Après une lutte de deux jours angoissante et désespérée, la pauvre Again s'en est allée entre mes bras ! C'est la moitié de moi-même qui m'est arrachée, ma raison d'être, ma vie. Ma détresse est immense." écrit Suzanne à sa tante et sa cousine.

Rentrée au Maroc en octobre 1956, c’est au milieu des événements tragiques qui précèdent l'indépendance de ce pays tant aimé que Suzon meurt subitement le 8 décembre 1956, six mois seulement après Again.

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