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Le Pharaon et le Tisserand

Conte Egyptien

 Pres du Palais ou chaque matin le Pharaon Sesostris recevait les plaintes de ses sujets et rendait la justice , vivait un pauvre tisserand , du nom de Khounare . Il travaillait tout le jour a l'ombre de son figuier , avec entrain et serieux .

 

Mais l'etoffe de chanvre qu'il tissait etait rude et sa faim si grande qu'il acceptait de vendre ce tissu aux paysans pour une "bouchee de pain ". Pour autant il ne se plaignait jamais de son sort : bien au contraire il louait les dieux de lui obtenir regulierement de la besogne et de lui preserver jeunesse et sante pour vivre pleinement la condition assignee par le destin .

 

Or , en plein hiver , il remarqua pour la premiere fois que son figuier portait des fruits . Il en compta dix , dissemines dans la ramure : aussitot il remercia le dieu Re de ce cadeau inattendu et se remit a sa tache quotidienne sans se troubler ni se divertir d'un pareil evenement.

 

L'un des jours suivants, Tehouti , fils d'Asari , paysan du domaine de Pharaon , habituellement un peu plus attentif au courage et au talent de Khounare que la plupart des autres clients du tisserand , s'arreta pres du figuier ; comme a chaque fois qu'il venait commander une toile , il s'interrogea sur l'efficacite de la derniere crue du Nil pour la recolte annuelle des cereales.

 

Pendant cette conversation , le tisserand remarqua vite l'air plus soucieux que d'ordinaire de son client ; il s'enquit alors de la cause d'un visage aussi sombre ; l'autre se confia aussitot , comme soulage de pouvoir partager sa detresse : son unique fille , Baiti , etait son seul soutien pour cultiver son champ et tenir sa maison , depuis le deces deja lointain de son epouse,et voila qu'elle se mourait d'une mauvaise fievre , apres avoir pris froid dans un vent plus glacial que de coutume.

 

Sans connaitre la jeune femme , Khounare sentit de la compassion pour elle et son pere. Il chercha rapidement ce qu'il pourrait trouver pour leur apporter son aide; machinalement , il tourna la tete vers le feuillage de son figuier et vit que l'une des dix figues decouvertes la semaine precedente semblait mure a point.

 

Immediatement , il se leve ,la cueille et la tend au paysan : " Offre-la a ta fille , afin qu'elle goute quelques derniers plaisirs avant de mourir. Et si elle vit encore par la grace de Thot dont la magie divine permet les guerisons, reviens demain en chercher une autre qui devrait a son tour etre parvenue a maturite".


Heureux et reconnaissant du cadeau, le fellah s'en fut sans tarder. De retour chez lui, il dechira precautionneusement de menus lambeaux du fruit precieux pour les glisser au fur et a mesure entre les levres dessechees de sa fille, inconsciente, qui n'avait plus mange depuis quatre jours et regurgitait l'eau pure dont Tehouti avait tente de la desalterer; sans se decourager, il poussa entre les dents qui claquaient mecaniquement chaque morceau de chair violette et parfumee, avec l'espoir qu'il fondrait pour regenerer le corps exsangue de la mourante. A la deuxieme bouchee, les violents frissons qui tordaient la malheureuse cesserent soudain .

 

Le fellah continua l'operation, puis resta debout, immobile, a veiller sa chere fille en invoquant le secours d' Horus, roi des vivants; il suppliait aussi le pere de ce dernier, Osiris, souverain des morts, d'attendre encore avant d'attirer Baiti dans son royaume. Ces prieres parurent exaucees puisque la malade, apres une legere deglutition, poussa un profond soupir et tomba dans le sommeil.


Le lendemain des l'aube, Tehouti courut aupres de Khounare, qui se rejouit du mieux-etre procure par la premiere figue .

 

De jour en jour et de figue en figue , l'etat de la jeune fille ne cessa de s'ameliorer : sa respiration fut reguliere et paisible , liberee du rale rauque de l'agonie, le deuxieme jour; le troisieme, elle murmura " mon pere " en ouvrant les yeux avec un sourire; elle retrouva des couleurs generalisees le quatrieme ; le cinquieme,elle put tendre la main vers celle de son pere en balbutiant merci; elle mastiqua le fruit avec gourmandise le sixieme jour et le septieme, elle attend le fellah assise sur sa couche, toute rose et les yeux vifs : elle lui ouvre les bras, puis glisse elle-meme derriere ses dents la septieme figue, plus charnue et plus parfumee que les precedentes, avant de declarer la bouche pleine qu'elle se sent revivre, prete a se lever.…


Oui, mais voila, depuis le quatrieme jour, devant l'amelioration de la sante de sa fille, le paysan n'avait pu taire sa joie ni sa reconnaissance pour le tisserand : il en avait parle a ses voisins les plus proches, qui a leur tour avaient transmis les bonnes nouvelles des qu'elles leur parvenaient .

 

Helas, le bonheur ne preserve pas des mechants ni des envieux ! Le chef des pourvoyeurs de Pharaon, Marouitensi, eut vent de cette convalescence et de la possession par un vulgaire tisserand de dix figues prodiguant leur pulpe juteuse et sucree en plein hiver : " Comment ? ce gueux n'a meme pas propose ces fruits au Pharaon, selon la bienseance ? Il les a gardes pour une souillon, une fille de basse classe ! Quel sacrilege ! La degustation exceptionnelle revenait de plein droit a Sesostris et a son entourage ."

 

Khounare fut donc arrete et jete dans une geole souterraine, tandis que les trois magnifiques figues restant sur l'arbre etaient cueillies et portees a Pharaon au nom de l'intendant Marouitensi, qui, en remerciement de son cadeau original et apprecie, recut une bourse bien remplie.

 

Pourtant, tous n'oublierent pas le tisserand : Tehouti et ses voisins constatant son absence anormale et la disparition des trois dernieres figues , interrogerent en vain les soldats de garde; alors ils se reunirent et batirent un projet pour sauver Khounare. Ils deciderent de s'asseoir a terre devant l'entree du palais; l'intendant constata avec fureur qu'on ne livrait plus ni fruits ni legumes pour son maitre. Les paysans se laisserent trainer par les soldats dans la poussiere de l'esplanade , mais ne reprirent pas le chemin de leur champ ou jardin. Bientot,sur l'ordre de Marouitensi gonfle de rage, les manifestants solidaires furent a leur tour enfermes dans des cachots, sauf Tehouti qu'un pressentiment avait pousse a se plaquer contre le mur exterieur du palais, a l'ecart de ses compagnons, dissimule par l'obscurite de la nuit tombante.


Le matin suivant, anonyme parmi les sujets venus reclamer justice au Pharaon, Tehouti penetre dans le palais et, des que son tour survient, se prosterne devant le trone, raconte brievement son histoire avant de presenter sa requete : que les fellahs et Khounare recouvrent leur liberte.é…

 

Quelques instants plus tard, devant tous les amis du tisserand, Pharaon lui rend justice, puis lui demande de quitter son figuier et ses clients paysans pour consacrer son art au tissage des parures royales.

 

Humblement, Khounare remercie Sesostris de cet honneur mais avoue qu'il prefere rester aupres de son figuier qui lui a procure la joie d'offrir du bonheur a d'autres; il desire aussi continuer d'etre a la disposition de ceux qui se sont mobilises pour le delivrer.

 

Alors la Reine se penche a l'oreille de son epoux: elle suggere un compromis, aussitot approuve par Pharaon et accepte par le tisserand. On batirait une enceinte autour du figuier miraculeux et dans cet enclos sacre, un oratoire dedie a Re; Khounare en serait le gardien, abrite avec son metier a tisser dans une confortable maison de briques crues, avec terrasse; en echange, l'artisan devrait se rendre la premiere moitie de chaque mois au palais ou lui serait reservee une grande salle, pour y realiser les commandes de la Cour, genereusement remunerees, et former des apprentis apres avoir selectionne les plus doues des adolescents pauvres de la region.


Ainsi fut fait.

 

Entre temps, Tehouti le fidele fut nomme chef des pourvoyeurs a la place du brutal et peu scrupuleux Marouitensi.

 

Or, quand on publia l'avis de recrutement pour l'apprentissage, Baiti voulut se presenter. Les yeux rehausses d'un trait de khol noir, les formes juveniles valorisees par un fourreau de lin blanc a larges bretelles et l'ame confortee par l'amulette en forme de scarabee dont le bleu brillait sur sa gorge, elle chemina vers le palais…... et Khounare. La, les deux jeunes gens, inconnus l'un pour l'autre, mais deja lies par la generosite de l'un et la maladie de l'autre, succomberent a un coup de foudre amoureux reciproque.

 

Apres leur union benie par les pretres de la Cour sous la bienveillante protection de Sesostris, les deux nouveaux epoux se retirent et se recueillent main dans la main sous le figuier. Machinalement, ils levent la tete et remarquent que, de nouveau, l'arbre porte des fruits: ils en comptent vingt.

 

Anne Chrysoteme


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