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Hommage à Suzanne Crepin

Un caractère bien trempé

Tous ceux qui l'ont connue ont pu parler de cette femme hors de l'ordinaire. Nous venons d'évoquer son attachement si fort à sa sœur Madeleine et à son amant mais nous devons parler aussi de celui qui la lie à sa mère. Que de lettres échangées entre les deux femmes montrent à quel point elles se chérissaient et comme leurs vies respectives étaient intimement mêlées. On pourrait même dire que Marguerite remplissait pour sa fille le rôle « d'agent », courant les galeries ou les salons pour assurer l'accrochage des œuvres de Suzanne, répondant aux demandes des galéristes en l'absence de sa fille.

De son côté, Suzanne, restée célibataire assura toute sa vie protection et affection à sa mère.


22 mars 1922 : « Chère petite Suz, Tout s'est très bien passé le 16 ! Je n'ai eu aucun ennui grâce aux bonnes explications que tu m'avais données... Chez Giard, les tableaux étaient prêts, ils font très bon effet dans leur cadre. J'ai emporté là-bas les petits Bretons...A la Nationale, très peu de monde. Un bonhomme m'a pris mes quatre tableaux. J'ai présenté les aquarelles dans l'ordre voulu et l'on m'a donné un reçu pour chacune.

Depuis j'ai reçu un papier t'annonçant que tes trois autres œuvres avaient été acceptées par le jury. Ces formalités très simples accomplies, je suis rentrée à pied le long des quais, au bon soleil. »


Plus loin : « il (Galerie Devambez) voulait te demander tes derniers prix de vente. C'est une très bonne chose d'avoir vendu cette fille aux dents blanches ! Tu dois être contente...Avec les deux autres petits, cela fait dans les 500 francs ! C'est bon à prendre... »


De Viroflay, 17 janvier 1933 :"Ma lettre t'apporte une nouvelle qui va te faire beaucoup de plaisir. Ce matin dans ma boite, je trouve une enveloppe à ton adresse. J'ai pensé tout de suite que ce pli venait de la Galerie Charpentier et j'ai bien fait de l'ouvrir puisqu'on demandait une prompte réponse. J'ai pris sur moi de dire que tu acceptais l'offre de 500 francs...Je te félicite de ton beau succès..."



Plus tard, le 2 septembre 1944, Suzanne et sa mère se sont réfugiées sur la Côte d'Azur, Suzanne écrit à sa sœur pour lui donner des nouvelles de Marguerite très affaiblie par les privations dues à la guerre :

"Enfin, enfin une brèche dans ce mur, ce mur odieux et inhumain qui nous sépare de vous depuis bientôt deux ans. Nous n'osons pas encore croire que nous aurons bientôt peut-être la joie de trouver dans notre boite des lettres d'Again et des autres, de savoir quelque chose de vous tous nos très chéris. De vous sans doute nous ignorons tout depuis le 17 janvier, donc depuis huit mois nous ignorons tout, tout, tout !

...D'autant plus de tourments qu'il fut justement question à ce moment là de l'évacuation totale de la Côte d'Azur ! Nous étions d'ailleurs bien décidées à résister et à mourir sous les bombes plutôt que de courir les routes avec une pauvre dame dans cet état. Pauvre Maman, chacune de ces anicroches la rend plus aveugle, plus cassée, plus maigre... Je ne pardonnerai jamais à tous ces "Prosper et Cie' de lui avoir fait une fin de vie si misérable, cette pauvre Maman..."

Suzanne évoque dans cette lettre la dureté d'un monde qui la navre au travers du parcours de cette chère Maman : une enfance facile et heureuse, ponctuée de sorties au théâtre, de bals, de réceptions et d'amour pour son époux Auguste trop tôt disparu et cette vie qui finit dans le plus grand dénuement et surtout l'éloignement de tous ceux qui lui sont chers. On voit là la sensibilité de cette femme qui se double d'une grande force de caractère : jamais de plaintes sur elle-même, elle avait voué sa vie à sa famille s'oubliant elle-même le plus souvent.

Force de caractère que l'on peut évoquer aussi à propos de son indépendance et de son art : Suzon semble avoir toujours été très déterminée, libre elle voulait être, libre elle fut toute sa vie. Dès sa jeunesse on se rappelle ces multiples voyages qu'elle effectuait seule avec sa sœur dans toute l’Europe. Plus tard, il ne fut jamais question pour elle de se marier.

De même, ses dessins, nous le verrons plus tard traduisent une maîtrise et un tempérament qui jamais ne variera.

On ne peut passer sous silence les colères et les peurs qui toujours animèrent Suzanne : colère contre les envahisseurs allemands pendant la guerre,  colère contre les pollueurs ! Ecologiste avant l'heure nous tenons d'elle un pamphlet bien senti à l'encontre de ces agissements :

Extrait du "Plaidoyer pour la préservation de nos sites"

"Tessons de bouteilles, boites à sardines et papiers gras"

"Il y a des endroits où la terre est si belle qu'on voudrait la

serrer contre son cœur" (Flaubert).

Vous connaissez tous le processus de la contamination. Par les beaux dimanches d'été, les bandes joyeuses en quête de fraîcheur s'empilent dans des autos et partent en caravanes vers les campagnes et les forêts lointaines.

Voici le coin rêvé, le ruisseau murmurant aux rives ombragées qui en tous pays fait recette. On descend, on s'esclaffe, on admire à grands cris ! Puis sans plus tarder chacun s'installe serviette au cou ! Boites de conserves, poulets, gâteaux vont être attaqués avec entrain.

Et c'est ici que commence le désastre !! Tout ce qui gêne est envoyé à la volée aux alentours !

Les papiers gras ouvrent la danse et, gonflés par la brise s'en vont dans les roseaux fleuris effrayer les libellules; puis viennent les boites à sardines qui bientôt vides serviront à faire des ricochets. Les mâchoires s'activent et au fur et à mesure de nouveaux débris jonchent le sol...

Par quelle aberration ces jeunes personnes pimpantes et charmantes, qui ne peuvent souffrir chez elles ni un grain de poussière sur un meuble, ni un fil sur un tapis, ces hommes à la tenue correcte et soignée ont-ils pu en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, transformer ces lieux pleins de grâce et de poésie en un dépotoir répugnant ??... Dans un siècle civilisé et qui se dit propre, cette offensive de la saleté et de la crasse est inadmissible. Il faut sans tarder faire front, il faut crier sus à l'ennemi, sus aux détritus!"


coqss

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